Les statues grecques 

Résumé:

Les principales statues grecques étaient en bronze (et non en pierre) : beaucoup ont disparu , fondues par les barbares (dont les romains) pour faire des pièces en bronze! Dans la Grèce antique, les statues n'étaient pas posées sur un piédestal: elles étaient à hauteur d'homme  à même le sol, séparées de celui ci par une simple base de pierre chargée de protéger contre l'humidité. On pouvait donc en faire le tour et observer chacun de leur détail de près! Les individus représentés étaient quasiment exclusivement des dieux (rôle religieux de la sculpture) ou des héros ou encore des vainqueurs au combat ; seuls des dieux pouvaient être d'ailleurs représentés nus. Les statues étaient remarquablement bien proportionnés et fort précis (au millimètre près): les muscles, les veines,  la fidélité de reproduction de l'anatomie montrent les connaissances grecques en médecine. Il n'est pas étonnant qu'un mythe raconte l'histoire d'un homme tombé amoureux fou d'une statue de femme! 

Encyclo:

Le Jeune Homme d'Anticythère  Bronze, vers 330 av. J-C

Il s'agit d'un bronze grec de la fin de ce qui fut la période créatrice de la Grèce, vers 330 avant J-C. 
On l'appelle le jeune homme d'Anticythère, car il fut trouvé dans les sables de ce petit port du sud du Péloponèse, au sud de la Laconie, d'où on embarquait pour l'île de Cythère. C'est une œuvre rare dans un tel état de conservation. Il nous reste seulement une dizaine de bronzes authentiques d'une telle taille, mais auxquels il manque souvent des parties. 


Les Grecs étaient des bronziers, et non pas des sculpteurs de statues de pierre (marbre ou calcaire). La pierre n'est utilisée que dans des œuvres secondaires ; les statues principales étaient en bronze, des premiers kouroi du Péloponèse jusqu'à celui-ci. Ils ont presque tous disparus. En effet, le bronze était parfaitement traité, très facile à fondre ; ainsi les Romains, à la fin du V° siècle, puis les barbares, les ont fondus pour en faire de la monnaie, des armes et des ustensiles divers. La seule exception à cette prépondérance du bronze, c'est l'Attique, à partir d'Athènes, qui possédait des carrières de marbre à portée de la main, mais Athènes n'est devenue une puissance artistique importante qu'assez tard (pas avant le V° siècle). 
Tous ces bronzes ont été découverts par hasard. Celui-ci a été découvert par des plongeurs, des pêcheurs, tout comme les bronzes de Riace, trouvés dans la baie de Naples par un plongeur napolitain, en excellent état de conservation (ils conservent leur dorure). Il était
vraisemblablement sur un bateau romain emportant des grands originaux vers l'Italie et ayant alors coulé. 
Il mesure à peu près deux mètres, est en excellent état de conservation, il a gardé ses yeux en pierre, mais il a perdu la dorure (obtenue par le martèlement de feuilles d'or) de ses cheveux, cils, sourcils et de la pilosité du bas-ventre. Il s'est patiné, alors que les bronzes avaient une couleur claire, dorée, ressemblant à la peau bronzée des athlètes. Il date d'environ 340-330 av. J-C. On ne sait pas l'attribuer à un sculpteur précis.  Il représente soit un dieu, soit un héros, soit un vainqueur à un combat. Nous allons voir pourquoi cette distinction importe peu : c'est la même chose. Le thème unique de l'art grec, c'est la figure athlétique, virile, nue, entre 25 et 27 ans. Avant, les chairs sont en croissance, molles, changeantes, et après, elles se décollent du squelette et redeviennent mobiles, flasques. C'est le temps de la plastique grecque, où le corps est comme immortel, ne bouge pas. C'est dans ce temps que la figure humaine grecque est prise. C'est une statue (au sens latin de " stare " : se tenir debout, droit, érigé vers le ciel). Ce sont les Romains qui ont inventé ce terme.
Le traitement plastique du dos est aussi important que de face : c'est un cas unique, le seul dans l'histoire de la sculpture d'Europe. Chaque millimètre de matière est travaillé. C'est une " ronde bosse ". Seuls les Grecs ont pratiqué, dans la sculpture de la figure humaine, la ronde bosse. Ca ne s'est jamais reproduit (y compris dans les copies romaines). Car les copies romaines sont toujours placées dans la géométrie d'une architecture (édifice, forum, jardin, villa, temple, niche…) : l'important est la face. Seuls les Grecs ont conçu la ronde bosse comme figure de l'autonomie humaine de l'athlète, comme une liberté qui n'est pas l'in-dépendance (sens négatif) mais l'auto-nomie (développement vers l'extérieur selon sa propre loi). Cette autonomie est une impiété absolue, luciférienne, pour le christianisme : c'est
l'orgueil, le premier des péchés. C'est pourquoi la sculpture chrétienne sera, jusqu'à  Rodin, conçue comme un relief, dépendant d'une architecture, sans laquelle elle n'a pas de sens. 

La statue grecque est posée presque à même le sol, sur une base qui la protège de l'humidité, du sable, des mouvements du sol. Elle n'est pas en exaltation sur un haut piédestal. La statue est donc perceptible sous quelque aspect qu'on l'aborde.  On la comprend entièrement de biais comme de face, ou encore de dos. La " ronde bosse " est un mauvais terme, car " bosse " signifie relief (on parle ailleurs de " demi bosse ", etc.). C'est donc à partir de cette idée de relief qu'on a imaginé la ronde bosse. C'est finalement un terme pictural, signifiant qu'on peut la voir sous chaque aspect, tourner tout autour. Or une statue se rencontre comme une personne, on n'est pas obligé de tourner tout autour. La statue grecque est au ras du sol, à peu
près de taille humaine, en fait un peu plus haute, pour mieux s'exprimer, faire modèle sur nous. 
La plastique grecque monumentale est née vers 650, peut être 700 (av. J-C). On dit qu'avec Alexandre elle a terminé son cercle de vie créatrice. Son seul art réside dans des figures humaines, éprouvées pour divines. Une statue grecque n'est jamais que dans un sanctuaire. Il n'y a pas d'art grec privé. L'art grec est uniquement religieux. Une statue portrait soit un athlète, olympionique, soit un héros (Thésée par exemple), soit un dieu (Apollon, Hermès, Arès, etc.), mais il n'y a pas de portraits privés. L'essence même de la plastique grecque est divine. Un grec n'a pas le droit de commander son portrait.

C'est un art de la rencontre (et non de l'apparition) : je rencontre un moi, mieux que moi. Toute l'éthique grecque est dans ce passage. L'art grec est athlétique. C'est la figure de ce que, pour mémoire, je dois être. Goethe dit : « un art est grand tant qu'il est religieux ». C'est vrai de la Grèce, jusqu'à 350, et c'est vrai de l'art chrétien. « Grand » signifie : qui produit un effet éthique sur un peuple entier. La grandeur d'une œuvre d'art n'est pas dans sa fécondité artistique, mais dans sa fécondité éthique sur un mode de vie. L'art n'est jamais fait pour le plaisir, surtout désintéressé, mais pour une morale, une gouverne de vie, une manière d'être et
d'agir. Comme si la civilisation grecque (depuis la guerre des Achéens contre les Troyens, vers 1120, jusqu'aux environs de 320)avait eu pour unique but de façonner une figure humaine qu'elle éprouva pour divine. C'est pourquoi la statue est à terre, bronzée comme les athlètes : c'est un art de la rencontre en vue d'une identification. Il ne s'agit pas de prendre cette statue avec un plaisir esthétique, ou d'y voir du beau, ce qui serait un contresens.

On a affaire à un corps dorien : 
La Grèce propre est le Péloponèse dorien, qui est une péninsule, et non plus une île, depuis la percée du canal de Corinthe. C'est là que l'art grec naquit, que la religion grecque se forma, que la " politique " grecque, c'est-à-dire une manière de vivre, s'est fabriquée. C'est le lieu cultuel, et le combat athlétique est la forme simple du culte grec à Zeus et aux Olympiens, c'est la liturgie grecque. C'est donc le lieu de la Grèce propre, et non pas Athènes et l'Attique. Jusqu'aux environs de 490, Athènes restera très mistéonienne, chtonienne, avec un culte de la terre, ce qui est anti grec (ainsi Socrate disant « je suis un autochtone »). On est décidé grec par sa participation aux " agones " olympiques (et non pas " jeux ") ; l'agôn est un combat, pas un divertissement. C'est là, à Olympie, à partir de ces combats (la première olympiade a lieu en - 736), que naît la statue athlétique grecque. La philosophie ne naîtra pas en Grèce mais en Ionie (Thalès, Héraclite) et s'étalera en Grande Grèce (c'est-à-dire l'Italie, la Sicile, avec notamment Parménide d'Elée et Agrippa d'Agrigente). Quand l'art grec s'effacera, la philosophie assurera son remplacement en Grèce.

Qui est portrait ? Quatre interprétations : 
- Un vainqueur dans une compétition de balle (pratique très dorienne, très argienne, qu'on retrouve notamment dans un petit bronze célèbre d'un vainqueur produisant une balle). Mais ici, il faudrait constater une disproportion entre la monumentalité de la statue et la taille de la balle imaginaire qu'elle produirait au public. 
- Thésée, haranguant la foule, avec un geste trop romain, qui ne correspond pas (voir les doigts) à un geste de harrangue. 
- Persée, qui a tranché la tête de la Gorgone et qui produit cette tête. 
- Paris, produisant la pomme à Athéna, lorsqu'il dût choisir, dans le port d'Anticythère, une seule offre parmi celles que lui faisaient trois déesses. Ces trois déesses se combattaient en effet pour offrir un présent à Paris, avant que celui-ci n'embarque pour Troyes, où il devait ramener Hélène. Athéna lui proposait la gloire guerrière, Aphrodite la plus belle femme de Grèce, et Hera la puissance des terres. Or Paris tendit sa pomme à la déesse qu'il avait choisi : Athéna. Vers 340-330, une statue fut faite, pour Anticythère. Cette interprétation est séduisante et vraisemblable.

Il s'agirait donc soit d'un athlète, soit d'un dieu, soit d'un héros. 

d'après M. Podgorny, professeur de philosophie esthétique à l'université de Paris IV - Sorbonne